mardi 8 août 2017

29. Nouvelle ère, le vent se lève(ra)

Nouvelle ère, le vent se lève(ra)

Hier, mon biscuit chinois m’a annoncé fièrement : « Une ère palpitante s’ouvrira bientôt à vous. » Le biscuit avait même mon chiffre chanceux! (Soit aucun chiffre, je ne crois heureusement pas en la numérologie.)

Mais qu’est-ce qu’une ère palpitante? Dans mon cas, peu de choses comptent aujourd’hui.

Lire, écrire, bien manger.

Comprendre, apprendre, instruire.

Aimer, jouer, rêver.

Quoi d’autre? Je fais déjà tout cela à un certain niveau, seulement entravé cet été par des horaires irréguliers et un travail qui n’a jamais été aussi répétitif, mais surtout, que j’ai trop rapidement maîtrisé. En plus, dans quelques semaines, une « ère palpitante »; la maîtrise en physique. Dans douze jours de travail (et quelques jours de congé entre deux blocs), je retrouverai la liberté asservie de mes études choisies. Sans trop savoir jusqu’où cela me mènera, je garde une fois agnostique en un univers qui m’a servi ou trahi à de multiples reprises. En ces deux prochaines années, je dépose des espoirs d’une existence où la répétition a pour but la compréhension, où je ne peux qu’avancer (plutôt que de stagner). Ces deux années, je le sais, m’éloigneront de certains sans pour autant favoriser mon approche des autres. Il n’y a par contre nul avantage à suranalyser la situation; les changements seront organiques au pire, harmonieux au mieux.

J'ai connu le Cimetière Marin
grâce au film de Miyazaki.
J’écris dans ce parc où le vent se lève; je me demande comment tenter de vivre. Mes pages passent près de s’envoler, et moi, je suis tout ébloui de la fraîcheur de la soirée et de la pluie qui tarde. Ma tête est un toit tranquille où picorent des vagues en poudre et poussières, en attendant l’ondée (1). Paul Valéry me fait l’effet, dans son Cimetière Marin, d’une côte balayée par les vents et arrosée de soleil, tout à l’opposé d’un soir montréalais où l’obscurcissement du ciel vient à la fois des nuages et de la descente du soleil. Dans Dune, Frank Hebert fait constater à ses personnages l’importance des grands espaces et du ciel infini pour stimuler l’introspection d’un peuple. Paul Atréide (pas Paul Valéry) (2) dans une caverne a vu les futurs se fermer comme des fenêtres devant lui, alors que je sens que je dois fermer des fenêtres pour ouvrir des futurs.

Les Minimalistes en question.
Par exemple, les Minimalistes (3) ont rompu avec des distractions du quotidien en les faisant physiquement disparaître de leurs vies. Je peux aisément mettre le doigt sur ces petites choses qui m’alourdissent : comme ces ancres matérielles nées d’une société de consommation réglée au quart de tour que mirent de côté les Minimalistes, des habitudes ralentissent un potentiel que je sens en moi comme en d’autres. Ces choses, pour la plupart, ne se jettent pas simplement aux poubelles, et d’autres sont des manques à combler dans mon esprit. L’immatériel est un fardeau comme la mode jetable accumulée par certains; une perception encombre, une lâcheté verrouille. Dans mes habiletés et mes paresses intellectuelles, j’ai justifié dans mes mots et ceux des autres des défauts de volonté avec un plaisir que je pourrais défendre rationnellement. Dans mes bulles sociales et informatiques, j’ai trouvé les outils pour, sans peine (me) faire accepter ces choix.

Embourbé dans un confortable (et même relativement productif) marasme, on attend un changement de décor pour changer de rythme. Cette « ère palpitante » promise par mon biscuit chinois est une prophétie que j’écris pour moi-même : quelques légers ajustements serviront à essayer de donner de la portée à ma voix et à accélérer un mouvement vers ce que je cherche à être. L’été se termine bientôt et je retourne chez moi, vers un presbytère et un chat qui sont devenus pour moi des symboles de paix. De mes horaires inégaux, je compte retrouver un moi stable, un ego qui ne change pas selon des heures de lever (qui sembleraient arbitraires à quiconque n’a pas travaillé dans un établissement touristique).

En retrouvant le chat, je sens que je retrouverai aussi une habitude de l’inutile; ces pauses trop nombreuses où ma vie s’arrête, car il est venu le temps de jouer avec le chat. Dans ces moments irréfléchis d’irréflexion s’ouvre en moi une oasis, des fenêtres intemporelles où le temps perdu se gagne.

De ce « grand changement » qui accompagne le passage des saisons, je n’attends rien d’autre qu’une vision un peu changée de moi-même. Rien de très complexe, ma personnalité est au moins partiellement cristallisée depuis des années; je souhaite simplement que le sérieux de ma nouvelle position sociale m’aide à trouver ce même sérieux dans ma vie quotidienne. D’ici là, je me console par la lecture effrénée des livres que j’ai mis de côté et une écriture qui ne quitte pas mon cahier : les textes que cet été a vus naître valant rarement plus que le papier où ils sont consignés. Au moins les derniers mois m’auront donné autant de textes pour ce blogue que l’année 2016.
Nous sommes tombé sur la maisonnette de Kjarval
 par hasard en Islande (4).

Il m’arrive de me demander si cette aliénation que je quitte après cet été n’est en aucun cas responsable de mes derniers élans de créativité. J’ai visité il y a quelques mois la minuscule maison où Kjarval passait ses étés. Il se forçait à avoir une vie recluse, pauvre et difficile pour rester productif, créatif et vrai dans son art, mais bien d’autres ont produit et créé dans un confort près de celui où j’existe aujourd’hui. Je ne dois plus angoisser sur le sujet, l’école m’appelle et je me reposerai lorsque je serai mort (5).

1. Paul Valéry, « Le Cimetière Marin » :

Le vent se lève!. . . Il faut tenter de vivre!
L’air immense ouvre et referme mon livre,
La vague en poudre ose jaillir des rocs!
Envolez-vous, pages tout éblouies!
Rompez, vagues! Rompez d’eaux réjouies
Ce toit tranquille où picoraient des focs!

2. Voir Dune, tome 1. Paul Atréide, dans un élan de prescience, voit chacune de ses actions empêcher à jamais des futurs sans en ouvrir de nouveaux.

3. Ils se font appeler les Minimalistes, ils ont écrit un livre, un documentaire les mets en vedette.


4. Crédit : By Ymblanter — Own Work, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=27560135

5. Si possible, dans très longtemps. 

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